Leo Sexer -
travail à partir de poussière de carrière


Glaneureuses est une collecte d’informations, de références et de réflexions autour de la notion de déchet comme artéfact et de sa propension à être redéfini comme ressource par certain.e.s. Il a pris forme lors du séminaire "Études des Artéfacts" suivi à l'erg en 2019, mené par Loraine Furter et Pierre-Philippe Duchâtelet.
L’architecture de ce site s’est construite autour d’un ensemble de conversations spontanées à trois, où l’on tente de définir notre propre rapport aux déchets au sein de notre pratique artistique ainsi que dans notre vie quotidienne. L’enregistrement de ces conversations n’avait pas pour ambition initiale de constituer la clé de voute de ce travail de recherche, mais après réécoute, nous avons trouvé pertinent de retravailler cette matière première, car elle fait état de cette réflexion commune, encore en cours d’élaboration. Nous avons décidé de garder ces enregistrements bruts, sans montage, car ils peuvent être vu comme un ensemble réflexif sur la caractérisation du déchet, et donc nous ne souhaitions pas en produire davantage. C'est pourquoi nous les avons augmenté de notes suivant ces typologies : "balise" (qui permet de se repérer dans le fil continu de l'enregistrement), "exergue" (pour mettre en exergue certains passages, phrases important.e.s), "annotation & erratum" (afin d'ajouter et corriger certains propos avancés lors des discussions). Nous espérons que ces annotations vous permettront diverses entrées dans le contenu présenté.
S’articulent autour des conversations un ensemble de projets, de références et d’outils qui se définissent à travers cette problématique, gravitant autour de pratiques artistiques ou non. Cette mise en espace permet ainsi de tisser des liens, de réinvestir et d’éclairer nos implications, de nous ouvrir à des manières de faire et des matières à penser. Glaneureuses est notre point de départ, que nous souhaiterions poursuivre.
"Comment étudier ces nouveaux objets ?

Le déchet est-il vraiment res nullius, conformément à sa définition juridique ? Ou, privé de valeur d’usage et d’échange, se définit-il par une valeur négative ? Relative ? La définition juridique du déchet, héritée du droit romain, n’est-elle pas obsolète et n’appelle-t-elle pas à être ré-­imaginée ? De la réduction à la source à la réinvention des modes d’existence de la matière rebut, les enjeux économiques sont toujours présents. Du point de vue des normes et de l’appareillage juridique, du point de vue des formats sociaux et institutionnels qui entourent cet aspect, il y a aussi matière à interroger la notion de « bien » (Douglas & Isherwood 2007). Comment se valorise et prend consistance ce « bien commun » particulier qu’est le déchet, ce waste common – l’expression est de Ruth Lane, à propos des chiffonniers australiens ? Les approches anthropologiques classiques (Thompson 1979, Douglas 2005), constituent un point de départ essentiel pour penser les « pollutions » symboliques mais n’offrent pas les bases adéquates pour étudier les effets des déchets toxiques et nucléaires ou de la pollution atmosphérique sur la santé et le milieu (O’Brien 2011, Le Roux 2011). Les conditions économiques, technologiques ou cosmologiques doivent désormais jouer toutes ensemble dans la catégorisation des restes.

Si l’on cherche à penser la spécificité moderne et urbaine du déchet, il faut aussi nécessairement faire des écarts et interroger les chasseurs-cueilleurs ou les horticulteurs, des sociétés pensées « sans reste » (en tout cas, sans déchet) et pour lesquelles le reste, la scorie, les excreta refoulés prendraient peut-être d’autres formes imaginaires dans un environnement tropical humide caractérisé par la biodégradabilité des objets végétaux – un contexte de nature bien évidemment différent de celui des artéfacts métalliques ou plastiques des civilisations industrielles.

Les restes invitent à penser la valeur d’une façon plus large que celle proposée dans les approches focalisées sur les objets (Myers 2001). Notre démarche inclut non seulement l’emploi (fonctionnel, marchand ou autre) des artéfacts, mais aussi les matières disséminées dans les milieux. Les problèmes les plus importants à ce jour sont peut-être ceux liés aux micro- ou nanoparticules, gaz, lisiers et autres formes matérielles qui sont difficilement caractérisables dans des objets délimités. L’idée de reste nous permet d’englober non seulement des objets, mais aussi des flux de matières en plus des chutes et scories inutilisées. Le reste implique les divers processus, techniques ou naturels, par lesquels les objets se désagrègent ; il permet de saisir le « potentiel » (croissance, transformation, devenir) des choses en évitant les limites artificielles d’une pensée articulée autour des seules formes entières et arrêtées. Malgré le rêve d’une économie circulaire vertueuse dans laquelle les objets et matériaux fonctionneraient sans fin, l’idée de reste résiste et permet de voir les choses sous d’autres angles, ceux de la technologie culturelle (Mahias 2004, par exemple) à propos des dimensions économiques, sociales et symboliques de la bouse en Inde, ou celui des potentialités chez Ingold (2012)"

Frédéric Joulian, Yann Philippe Tastevin et Jamie Furniss,
« “Réparer le monde” : une introduction »,
Techniques & Culture [En ligne], 65-66 | 2016, mis en ligne le 31 octobre 2018, consulté le 20 mai 2019.
URL : http://journals.openedition.org/tc/7772 ; DOI : 10.4000/tc.7772
Questions potentielles pour les interviews :

- Peux-tu me parler en quelques mots de ton parcours ?
- comment en es-tu arrivé à travailler avec ces matériaux ?
- Est-ce que l'argent a été importante/le point de départ de cette pratique ? Est-ce que c'est aussi un engagement moral ?
- Est-ce que ça te fait fréquenter des lieux/des gens que tu ne rencontrerais pas autrement ou ça n'est pas important ?
- Dans quelle mesure ta pratique affecte ton regard sur les autres déchets de ta vie ? (La bouffe, les emballages, n'importe ...)
- es tu vraiment actif dans ta recherche de déchets ou tu attends que les déchets viennent à toi ?
- Est-ce que tu sélectionnes/va chercher tes déchets, ou est-ce que tu reçois/centralise de grande quantité à trier dont tu jettes l'excédent/le surplus à ton tour ?
- Démarchage ou récup ? As-tu une "cartographie" de lieux/structures de ressources spécifiques ?
- Que t'évoque la notion de gratuité ?
- Ça a du sens pour toi de dire que quelque chose est un déchet ?
- Tu travailles avec des matériaux principalement issu de résidus industriels, est-ce politiquement un choix ?
- Est ce que tes rapports avec le déchet change les rapports de transmission de ta pratique et éventuellemnt de faire ensemble ?
- Est ce qu'il y a des concurrents ou des batailles pour les gisements de déchets avec lesquels tu travailles ? Est ce que ça t'inquiète?
- Est ce qu'il y a une rivalité autour de ces gisements ou plutôt une entraide et un partage ?
- Est ce que ça t'apparait comme facile de trouver de nouveaux gisements ou de nouvelles sources de déchets avec lesquels tu travailles ? Ou si la ou les tiennes disparaissent est ce que tu pourrais rebasculer vers un modèle d'achat de matières premières neuves ? Ou poursuivre ta pratique avec d'autres materiaux d'un genre différent ?

Trucs à relever :

- Qualifications des matériaux (déchets, poubelles, gisements, ressources...)
Site internet de Johé Bruneau
Catalogue de La boite à gant (et site internet) : la recyclothèque de l'ERG
Falling Fruit
Carte interactive et participative des 'gisements' urbains de nourriture
Afate Gnikou, designer d'une imprimante 3D à partir de déchets électroniques.
Max Vandervorst, musicien, compositeur et inventeur d'instruments.
"Le chiffonier" - Tableau de Paris, Louis Sébastien Mercier
Trailer de "Les glaneurs et la glaneuse" de Agnès Varda
Barnabé Chaillot - Vous ne marcherez plus jamais dans les feuilles mortes comme avant.
"Food not Bombs"
Livre outil fondateur de l'initiative anarchiste Food Not Bombs, récupération de nourriture et préparations de repas communs.
Les Gastrosophes, une asbl bruxelloise
Gastrosophes: n.m. pl. XIXe s. de « gaster » le ventre et « sophia » la sagesse. Hurluberlus soumis à la sainte trinité du cœur, de l’esprit et du ventre. Épicuriens par foi. Verbe « Gastrosopher » manger ou préparer à manger avec amour et générosité. Être heureux.



Sur mon terrain, le Sud-Ouest de l’Éthiopie, il est courant de trouver des restes de plantes, et des sacs en plastique dans les endroits les plus fréquentés, tels que les marchés et les chemins. Mais il est rare que les gens les désignent par des termes collectifs tels que « déchets ». J’ai assisté à deux scènes ayant comme objet central ces détritus. La première se rapportait à une femme travaillant au marché, assise à côté de gaines foliaires séchées. Elle n’en n’avait plus l’usage mais ne les qualifiait pas pour autant de déchets. La seconde correspond à des cahiers d’écoliers relégués et entassés sur une planche de bois à côté de fragments de papiers éparpillés sur le sol. Ceux-ci n’étaient pas non plus considérés comme des déchets. Ces simples impressions montrent qu’en langue Ari, les catégories linguistiques sont en décalage avec ce que nous désignons (en Orient ou en Occident) en termes d’utilité.

Réparer le monde
Non-Waste in a Non-Western Society: The Aari of Southwestern Ethiopia
Morie Kaneko
cuisiner des peaux de bananes
Discard Studies - Site internet regroupant un ensemble de textes et d'auteurs dont le thème de recherches est les déchets. Notamment à l'initiative de Max Liboiron, scientifique évoquée lors du séminaire Science Studies avec Alexis Zimmer, pour son projet Civic Laboratory for Environmental Action Research (CLEAR), un laboratoire feministe et anti-colonial spécialisé dans la surveillance populaire environnemental de la pollution plastique aquatique
Article "Réutiliser les matériaux de construction", A+ (n°231), conseillé par Rotor, à propos de leur pratique